... Fatehpur Sikri ( suite ) ...







Vous remarquerez qu'il faut beaucoup marcher dans ces visites!!
Une graine envoyée du ciel ......
Devant vous, Abdul Kareem chemine et se faufile à travers les fourrés avec une fière aisance. Mais bon, il est là depuis vingt-cinq ans. Il a vu les 16 hectares de ce flanc de colline de latérite se transformer pour devenir une forêt sauvage. Il l'avait simplement rêvée, l'a voulue, surveillée, gardée, a fait quelques courses, et la forêt est apparue. Elle continue encore d'apparaître : le travail est en cours de progression. Abdul Kareem a créé et sauvé à jamais un coin de nature sauvage en Inde.
Abdul Kareem est l'un des enfants de minuit de l'Inde. Il est né en 1947 à Nileswar, une petite ville sur la NH7 entre Kasargod et Payyanur au Kerala. Son père Abdullah était un modeste homme d'affaires. Après avoir réussi ses études secondaires et passé une année à l'université, Kareem décida de tenter l'aventure dans la capitale économique de l'Inde — Bombay ! Il travailla dans un chantier de construction navale privé comme ouvrier pour apprendre le métier. Alors qu'il pensait avoir trouvé sa vocation, il fut ébranlé par des émeutes de voisinage en 1969. De retour à Nileswar, il apprit la comptabilité et la dactylographie avec l'assistance du Conseil Musulman du Waqf. Il commença à gagner un salaire régulier comme comptable itinérant. Arriva ensuite le mariage et un peu de chance aussi.
Le boom du golfe Persique commença au début des années 70 et Abdul Kareem sentit une opportunité. Il créa une agence de voyage et de placement pour les milliers de keralites pressés d'affluer dans le Golfe. Ces détails sont importants, car nous n'avons jusqu'à présent aucune idée de l'homme qu'il pourrait devenir. Sa femme venait du village de Puliyamkulam, à environ 20 kilomètres de Nileswar. Il s'y rendait souvent en visite avec elle et y passait des week-ends. C'est ainsi qu'il découvrit sa colline.
« Je marchais à travers la région et voyait des flancs de colline arides, » dit-il. « C'était une vision douloureuse qui exerçait cependant un fort attrait sur moi. Je réalisai soudain que j'avais souvent — bien que pour de brefs moments — rêvé du Kaavu de la mémoire collective de l'Inde. C'étaient les bosquets sacrés que chaque village possédait jadis. On m'avait parlé d'eux quand j'étais enfant. Je pense que j'ai inconsciemment rêvé d'en avoir un. »
Alors, sur un coup de tête, il acheta deux hectares et demi de terres rocheuses et arides avec un puits pathétique. Il devint instantanément un objet de moquerie. Le puits donnait à peu près cinq litres d'eau à la fois et il fallait ensuite attendre qu'il se recharge lentement. Durant les mousson suivantes, alors qu'il se tenait sur sa terre, il fut presque emporté sur la surface rocheuse de latérite par une inondation furieuse. Cependant, le puits se contenta de ciller et ne montra aucune trace d'eau.
Kareem n'était ni lettré ni relié à aucune source d'information qui pouvait l'aider. Il faisait confiance à son instinct. Il était hanté par son désir d'avoir un Kaavu. Après avoir regardé désespérément sa propriété pendant un an, il commença à planter des arbustes sauvages matures entre les roches de latérite. Pendant l'été, il allait chercher l'eau à une source située à un kilomètre à l'aide de bidons attachés à sa moto. Tous les bénéfices générés par son agence de placement, qui prospérait de façon raisonnable, partaient dans ce rêve inaccessible. Les propriétaires de terrains aux alentours trouvèrent en Abdul Kareem une aubaine. Pendant des décennies leurs terres rocailleuses n'avaient rien produit et voilà qu'un homme était assez fou pour vouloir les acheter. Alors que sa famille affolée le regardait avec stupéfaction, il acheta 16 hectares de terres rocheuses.
Pendant trois étés, il soigna ses plantations en allant chercher au loin l'eau nécessaire. C'est alors que la nature lui envoya un signe. « Durant la troisième année, alors que ma plantation n'était composée que de jeunes arbres adultes, le niveau de l'eau dans le puits s'éleva ! » dit-il. « Rien que cela sembla pour moi une fin en soi et je me mis à planter toute la parcelle avec exaltation. » Il choisit différentes plantes prélevées dans le milieu sauvage et laissa la nature s'occuper du reste. Il apprit que l'on pouvait seulement accompagner la nature, pas la diriger. Les oiseaux commencèrent à arriver et à décharger toutes sortes de graines. Les mauvaises herbes se développèrent et parmi elles des herbes rares et des plantes médicinales — aucune choisie par Kareem. Les niveaux d'eau à Kaliyanam, Varranjnyur et dans d'autres villages dans un rayon de dix kilomètres s'élevèrent. La colline jadis aride était maintenant devenue une véritable éponge.
Jamais il n'a désherbé sa parcelle, coupé un arbre, balayé les feuilles, chassé le gibier, ou sélectionné une espèce, et bien sûr, il n'a jamais utilisé aucun produit chimique. « Mes récompenses sont cette eau fortement minéralisée, l'air parfumé, les promenades journalières à travers les bois, une vie saine et une paix immense, » dit-il. Il a depuis plus de dix ans vécu dans une maison construite dans la forêt. Nulle part un morceau de plastique ou de papier ne peut être aperçu. Cela fait partie de sa longue liste d'interdits qui compte aussi les voitures, le bruit, la cigarette, les feux ou les fêtes.
La reconnaissance est arrivée peu à peu. Les médias et les environnementalistes commencent à remarquer cet homme autodidacte. Le puits qui donnait jadis cinq litres d'eau se remplit à ras bord et déborde pendant des semaines après le recul de la mousson. Des lièvres, des oiseaux et d'autre petits animaux ont colonisé les bois. Des essaims — de la taille d'un sac — ont commencé à apparaître. Il y avait un réservoir tari hérité avec la terre. Il dit qu'il peut y pomper aujourd'hui cent mille litres d'eau à la fois et le niveau remonte en quelques minutes. « La forêt est en train de produire de l'eau ! » s'exclame-t-il. L'eau est presque comme un repas. Le sol sous l'épaisse, humide couche de feuilles grouille de petits animaux terrestres qui sont presque fâchés d'être dérangés.
Ses enfants ont grandi et la famille en expansion a ses propres besoins financiers mais Abdul Kareem a mis toutes ses économies dans sa forêt et n'a pas d'argent. Il espère maintenant trouver un équilibre entre la préservation de son rêve grandissant et ses responsabilités montantes. Il parle de commercialiser l'eau pour la table. Avec l'aide d'un partenaire économique avisé, la parcelle ferait une belle destination écologique. La gare de Nileswar est à une distance confortable en voiture. Une autre aide possible pour Kareem serait que des étudiants munis d'une bourse désirent faire des recherches sur sa forêt. Une petite école environnementale est une autre possibilité. Il est prêt à étudier toutes propositions intéressantes.
Nous sommes sur le point de nous séparer. « Tout au fond de chacun d'entre nous se cache un appel vers la nature, » dit-il de manière sombre. Il ajoute ensuite avec quelques mots simples : « Beaucoup de l'impatience, du mécontentement ou de la violence autour de nous vient du manque d'opportunité que nous avons de nous connecter à nouveau avec là où nous venons. Pour un bon équilibre mental et un esprit de générosité, il nous faut rester témoin de l'incessant, rajeunissant travail de la nature. »
Il attend notre départ. Dans un moment, il retournera à sa forêt, à sa véritable âme.
Texte écrit par D V Sridharan